Mes recueils

Des nouvelles inédites ou non

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Des nouvelles fraîches 2017-2018

Nouvelles primées

   

Mon Indispensable Petite Bibliothèque Ocre

Recueils au format 10 x 21 de 24 à 32 pages

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Les Nouvelles:

     


     

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Des nouvelles inédites ou non

 
Vanité

Seule la nature nous apprend à observer disait le maître. C'est qu'on le prenait au sérieux le vieil homme et on l'écoutait. Tous dans le village sur les contreforts des sauvages Cévennes le vénéraient. Il savait tant et tant de choses. C'était un érudit avait dit un jour le médecin en visite chez la Ginette. Tu sais lui avait-il glissé à l'oreille comme un secret " il adore les dictionnaires. Il en prend un au hasard, s'assoit à sa table de travail et il lit, il mémorise. Il retient tout. Mémoire d'éléphant ! C'est sûr il a été gâté par de bonnes fées le jour de sa naissance pour ce qui est de l'intellect mais pour le reste… " Il n'en avait pas dit plus. Secret professionnel ! Mais son sourire en avait dit beaucoup à la Ginette pas si sotte qu'on croit tandis qu'il la serrait de bien près et commençait à lui lutiner les seins ! Alors le bruit avait couru, sans que l'intéressé n'en eût jamais rien su que le bon vieillard n'avait certainement jamais goûté aux joies de la chair, aux jouissances charnelles avec le beau sexe ni même avec l'autre d'ailleurs ! Depuis son plus jeune âge, il lisait sans cesse, en particulier les jours de grande pluie et il écrivait dans la solitude des longues nuits d'hiver. Mais elle, la Ginette, de tous ses ragots, même si elle contribuait à les colporter, elle s'en moquait bien. Pour elle, il était comme le messie, elle l'écoutait sans jamais se lasser comme tous ces camarades d'ailleurs des cours du soir. Ils rêvaient tous d'un avenir meilleur alors qu'ils vivaient dans un monde sans espoir à répéter chaque jour, les mêmes gestes que leurs parents, leurs ancêtres dans ce pays aux mœurs si frustes.

Elle avait la vie difficile depuis quelques temps et ses nuits étaient courtes. Elle était encore bien jolie et les denrées devenaient de plus en plus chères et puis le médecin, le curé et même le secrétaire de mairie non seulement étaient très généreux mais pas du tout désagréables au lit. Mais le bébé pleurait toute la journée. Alors elle le promenait longuement à travers champs et prairies et fatiguée, elle allait le plus souvent le nez au vent, chantonnant tout de même. Elle était d'un naturel gai. Toutefois chaque soir elle tenait à ses deux heures de cours dispensés dans l'unique salle de classe qu'elle avait fréquentée toute petite sans ferveur mais maintenant elle ne pouvait plus s'en passer. Pourtant ce soir-là, quelque chose la troublait tandis qu'elle cheminait vers la seule vitre éclairée au bout de l'impasse qui aboutit à la mairie-école. Les tilleuls de la petite place semblaient inquiets. Les graviers grinçaient. Ce n'était pas le chuchotement habituel d'une sage soirée. Elle hésita longtemps avant de traverser le dernier terre-plein. Et toujours derrière elle le petit chaton sevré la veille, le nez sur ses talons. Elle était légèrement en retard, la fille du fermier voisin avait tardé à venir pour la garde du nourrisson. Les autres étaient déjà là-bas. Elle se mit à courir et au moment où elle allait enfin atteindre la poignée du portail de fer, là où, au-dessus de la lampe l'araignée tisse sa toile tranquillement depuis des lustres, là où elle glissait autrefois des petits papiers galants pour le bien-aimé du moment, rendez-vous toujours caché, ce qu'elle vit la cloua sur place, transie de peur. Elle ne pouvait hurler, elle ne pouvait plus avancer, momifiée, statufiée. Là accrochée au plus près de la gouttière une longue chevelure blanche, le scalp du vieux maître ! Les yeux dilatés d'horreur, elle réussit d'un coup à se ruer dans la salle illuminée. Les autres étaient bien là ! Et devant eux le visage glabre, le crâne rasé, un homme quasi-nu d'une blancheur spectrale parlait devant un auditoire subjugué comme fasciné. La voix calme et profonde, la voix du Maître, comme sortie des profondeurs terrestres expliquait les découvertes initiales de Léonard de Vinci, précurseur indéniable de la science moderne. La voix disait la vanité des mortels que sont les hommes qui se disent si différents de leurs frères les animaux et dont le comportement est bien plus condamnable. Il faut apprendre tous à nous connaître, nous respecter, nous admirer tels que nous sommes ! Nous sommes tous semblables ! Alors vivre nu, est-ce si idiot que cela quand il fait si chaud ? Ginette, vite remise de ses émotions, s'installa et à l'aise ouvrit son corsage pour donner la gougoutte à son chat en s'exclamant, charmée " et pourquoi pas ? "

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Méditation

Le grand cèdre centenaire, vigile au milieu du jardin, secouait mollement sa chevelure ténébreuse. La lune blafarde veillait dans un ciel tourmenté mais la douceur de la soirée entraînait à la rêverie. Une belle dame, à sa croisée, songeait et il faisait si doux qu'elle projeta une balade dans cette superbe campagne qu'elle ne se lasserait jamais d'admirer. La journée avait été rude à l'atelier. Elle était certes lasse mais le temps se prêtait bien à cette promenade nocturne. Elle sortit de la maison par le jardin d'hiver et c'est avec une joie presque enfantine de qui enfreint un interdit qu'elle se retrouva, seule enfin, cheveux au vent, foulant le sentier qui menait aux vastes étendues des prés et des champs.
Au rythme de ses pas lents et mesurés, les souvenirs se mettent à affluer. Elle n'est plus cette femme responsable que tout le monde écoute et respecte. Elle se revoit enfant. Elle est cette petite fille accroupie qui joue avec la poussière du chemin. Elle retrouve ces sensations jusqu'au plus profond de son être, ce sentiment d'intime appartenance à un lieu. La terre fine et légère glisse entre ses doigts tandis que d'une prairie s'élève un arc en ciel. Elle est cette gamine qui se disait " partir un jour et respirer toujours cette odeur d'humus fraîchement remué ". Ce fut un instant de fulgurance.
Non elle n'était plus cette enfant ! Mais elle était toujours là sur ces terres qu'elle n'avait jamais vraiment pu quitter. Pourtant des arcs en ciel, il y en eut bien peu depuis dans sa vie grise. Elle était restée, oui ! Elle avait réussi disait-on dans la contrée. Elle possédait sa petite affaire qui n'avait cessé de prospérer. Elle avait travaillé dur. Des études brillantes, des prétendants nombreux, tous éconduits, il fallait toujours faire mieux, pas le temps de fonder une famille ! Et les années avaient passé. Vite ! C'est insensé comme le temps passe vite ! Jamais eu assez de temps. Sa plus grosse lutte, jamais vraiment gagnée, est celle entreprise contre le temps.
Et ce soir-là elle avait pris le temps, abandonnant dossiers et tourments. Elle aurait aimé certainement une vie au plein air comme celle de ses aïeux. Un rêve qui ne pouvait pas se réaliser. C'eût été la misère ! Elle méritait mieux lui avait-on répété. Elle l'avait cru et elle avait eu raison, c'est certain. Le nier serait indécent. Des milliers de gens s'éveillent chaque matin dans son propre pays sans pouvoir prévoir leur repas du midi, sans même savoir s'ils pourront manger dans la journée. Il lui suffisait de penser à cela pour mesurer sa chance. Elle s'attarda longtemps appuyée contre le tronc d'un tilleul sur la place du bourg et elle entendit sonner minuit au clocher.
Lorsqu'elle revint vers la maison, rassérénée et prête pour une bonne nuit de sommeil, sur le trottoir près du portail, son pied buta sur un petit tas de cartons. Un tas non, une forme qui ronflait. Un vagabond, comme on disait encore dans les villages, semblait profiter du souffle chaud qui émanait du soupirail du local où se trouvait la chaufferie. Il ne bougea pas. Il dormait, un sourire aux lèvres. Elle ne s'étonna pas, se garda de le réveiller. Elle était sûre qu'à cet instant il était heureux. Toutefois, quelques minutes après qu'elle fut rentrée dans sa demeure, elle en ressortit une couverture à la main qu'elle étala précautionneusement sur ce corps allongé. Elle le regarda longuement avant de tourner les talons. Ce visage, un peu bouffi aux traits fatigués, ce menton abandonné, elle l'avait alors reconnu. C'était bien lui ! Le petit frère trop tôt grandi et si vite enfui loin, si loin pour faciliter l'oubli. Revenu ! Justement ce soir de grande solitude.

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Le réveillon de la Saint Sylvestre 

            Bon, c’est pas tout ça lança le patriarche à la cantonade alors que déjà le rhum Charrette coulait à flots, il va falloir penser au programme de l’année ! Qui reçoit qui et quand ! Avec une famille aussi grande et aussi éparpillée que la nôtre, on ne peut pas improviser et moi je tiens à ce que la famille reste soudée ! Pas comme ces familles qui vont à vau l’eau, qui perdent le sens de ce qu’est une vraie famille. Tous unis ! Toujours dire présent quand l’un est dans la nécessité ! Les bonnes assemblées, les retrouvailles régulières c’est ce qui tient une famille !

            On était au beau milieu du repas traditionnel du réveillon de la Saint Sylvestre dans une maison cossue au milieu de la garrigue languedocienne mais on y buvait le rhum, c’est ainsi à chaque fête de famille en souvenir du temps de l’ancêtre parti vivre le plus clair de sa vie sur l’île de la Réunion. En d’autres lieux, c’eût été le trou Normand ! Mais le patriarche dont la mère était née il y a bien longtemps au pied du volcan, aimait son île et quand il se retrouvait seul dans sa garrigue l’hiver, des wagons, des trains entiers de mélancolie envahissaient l’immense horizon, traversaient ses champs d’oliviers fatigués. Mais le jour de l’an, c’était sacré ! Tout le monde était là, toute la parenté et même au-delà. La mère de l’épouse de son aîné était là, une pauvre femme descendue pour l’occasion de son Alsace lointaine. Il l’avait invitée et depuis l’apéro la belle-mère était déchaînée. Il n’y avait pas qu’elle d’ailleurs ! La bande de gamins, ces petits cousins rassemblés s’en étaient donné à cœur joie et dès le début du repas les litchis étaient avalés avec les noyaux avec précipitation et sans discernement ? Certes pas de déchets mais le plus jeune avait failli s’étrangler. La mère s’était affolée. Le père était déjà pompette et le seul qui n’avait pas encore bu était l’autre aïeul mais le pépé s’endormait vite au volant. Il faut dire qu’il portait haut ses cent dix ans bien sonnés. Bon, heureusement, on ne sait comment le noyau incriminé avait soudain jailli hors de la gorge de l’étouffé qui hurla alors, d’aise probablement. Tout le monde s’était vite calmé et les agapes avaient repris de plus belle.

            Bref il fallait vite décider ! C’était au plus rapide ! L’aîné, sûr de son bon droit lança tout de suite une date !

-         Pâques ce sera chez moi !

Il habitait Tahiti ! Ce fut un tollé d’indignation.

-         Et les enfants, tu n’y penses pas, le bac de ma cadette !

-         Tout le monde ne peut pas se payer le voyage !

-         On est six chez nous !

-         On n’a pas tes moyens, tu rigoles !

-         Et la communion de mon aîné !

            Cela dura…dura ! Il n’y eut pas de pugilat mais c’en fut à deux doigts ! Personne n’avait vu évidemment le rat qui, tranquillement sorti d’on ne sait où, s’attaquait au fromage déjà coulant sur la desserte, navré d’être ainsi oublié malgré ses effluves largement dispensés. Il y eut des glapissements, des hurlements ; des vagissements et tandis que personne n’écoutait l’autre mais que tous parlaient, le chien s’écroula d’un coup au pied de l’escalier menant à la mezzanine, en un cri si strident qu’il fit taire toute la tablée. Tous les regards se tournèrent vers l’endroit et là, majestueux, un superbe gros et gras rat gris les fixait comme pour mieux les clouer sur leurs chaises, de ses petits yeux injectés de sang, tel un juge réprobateur, un presque dieu. Dans le silence le plus absolu, calme et repu il quitta la pièce sans se presser et sans un regard vers le pauvre chien en galette sur le pavé.

            Le patriarche éclata alors de son gros rire inimitable et communicatif qui fit vibrer les vitres du mas. C’est à ce moment que la vieille horloge sonna les douze coups de minuit.

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Séduction pour payer moins d’impôts

 

            J’ai essayé le vernis rouge, le violet, le carmin, le vert fluo qu’on voit dans les soirées, le jaune, le bleu et puis bien-sûr le noir, c’est super sur des ongles bien effilés,

            j’ai essayé les bas résilles bien plus sexy que les collants-bonne-maman, le porte-jarretelles en dentelles évidemment, le pull ras du nombril, les dessous chic, la jupe micro et puis même pas de jupe du tout,

            j’ai essayé le diamant en bracelet, en collier, en pendentif, au bord des lèvres ou au sourcil, en boucles d’oreilles et même en boucle de ceinturon,

            j’ai essayé le bonnet en chinchilla, le béret du marin, la casquette de gavroche, les oreillettes en moquette, le chapeau mou, le chapeau à plumes -ça me donnait du chien- le chapeau claque et même la tête à claques,

            j’ai essayé le rouge à lèvres en arc-en-ciel, le pourpre, le terre de Sienne mais aussi le rose brillant, le rose vif, le rouge pivoine, le rêve d’azur,

            j’ai essayé la petite robe noire, la robe rayée, la robe à pois vifs et celle à pois lents, de senteur ou bien cassés (je me suis bien marrée) et bien-sûr la rouge coquelicot, et même le gros rouge

mais rien n’y a fait, ne me regarde pas, en fait ne me voit pas

 

            -Non, Madame, c’est comme ça, rien ne changera !

 

            J’ai essayé les yeux de louve enamourée, les yeux de biche, les yeux baissés, le regard biaisé, le regard en coin, de velours et même d’acier, le regard glacé et puis le regard glamour,

            j’ai essayé le sourire de Loana, celui de Diana et bien-sûr celui de Carla -ce qui ne va pas de soi- le sourire de Barak Obama, et même celui d’Angela Joly mais ça ne m’a pas vraiment réussi,

            j’ai essayé les talons aiguilles, les talons plats, les Louboutin et les bottes de croco, les Méphisto pas rigolos, les trotteurs super souples, les Scholl décontractés, les tongs de Hongkong, les tennis Nike et les baskets Adidas, les Rey boots aussi,

            j’ai essayé la charlotte, le pet de nonne, le florentin, le chou à la crème, la crème au beurre, le beurre de cacao, l’éclair au café, au chocolat, à la praline et même le baba au rhum avec plein de Chantilly dessus,

            j’ai essayé le petit tailleur Chanel, la robe en Vichy de Brigitte Bardot, la robe sac de Balenciaga, la petite robe si courte d’André Courrège et même le costume à la Cardin , j’ai même osé du Jean-Paul Gaultier, du Valentino et du Bouchra Jarrar, c’est pour dire !

            j’ai essayé le numéro 5 de chez Chanel, l’eau Sauvage de chez Dior, le masculin de chez Armani, le 24 Faubourg de Chez Hermès, Le Ralph Lauren Notorious, le Joy de Jean Patou, le Rive Gauche d’Yves Saint Laurent, la Petite Robe Noire de Guerlain et même le Suivez-moi de chez Fragonard,

mais rien a marché, c’est tout qui a cloché et il m’a dit enfin en me regardant :

             -C’est comme ça, toi la vieille, comme tout le monde tu paieras et il m’a montré la porte. Voilà, entre nous, ça c’est fini comme ça !

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Entre deux trains

 

         Sur le quai on s’est vues, on s’est comme reconnues ! Tu étais au milieu de tes valises, grosses de tes espoirs, grosses de tes souvenirs, un sac - énorme coquin - sur le dos, un autre malin dans la main, baroudeuse de l’été. Je venais avec mon petit bagage rouge toujours, chargé de mes riens, en traîne et ma lourde besace si précieuse - mon tout - sur le ventre. Un petit aller-retour entre la ville et la mer. Eros, toutes deux, nous boudait. Tu étais partie le matin d’une gare suisse mais tu venais de bien plus loin, du pays bleu des elfes et des gnomes et tu visitais tes amis. Tu avais passé la semaine chez un fils à Zurich, tu souriais en me parlant de tes petits enfants que tu voyais une fois l’an. L’autre fils, tu le verrais bientôt là bas au fin fond de l’Espagne et tu te réjouissais mais tes yeux me disaient bien d’autres choses que je comprenais trop bien ! Trois mois d’été, trois mois à courir l’Europe pour tromper ta profonde solitude, assumée m’as-tu dit, et les retrouver, eux, quelques petits jours, comme ça en passant !

          Sur le quai on a bavardé, on attendait le même T.G.V. Tu m’as raconté tant de choses, banalités, vérités, tes dernières trouvailles, ton dernier travail, heureuse de parler, heureuse de te dire, assise près de moi, sur le même banc vert, en partance chacune vers un avenir choisi toujours riche de hasards à saisir. Je t’ai dit mes envies aux tiennes si semblables et mes jours à venir. Je n’allais pas si loin et ne verrais pas mes fils de l’été. Tu l’as vite compris et on a parlé des amis, de nos maisons grises, de nos voyages passés, de nos voyages rêvés ; et puis - trop lourd à porter - de nos vies de femmes qui se voulaient libres et insoumises. Ah ! Si nous avions eu des filles ! Comme pour Céres elles auraient fait fleurir nos étés. Pourtant que de complicité avant l’absence. On n’avait rien vu venir. Mères de garçons, fils tant chéris, qui sont partis loin, bien loin pour le travail, dit-on ? pour suivre un Hadès en jupons plus jaloux qu’accommodant, comme ça brutalement, naturellement !

          Sur le quai, le train est arrivé, on s’est embrassées, on s’est quittées. Machinalement, je t’ai donné ma carte. Tu es montée dans un wagon, moi dans un autre. Le lendemain mon téléphone a sonné. C’était toi ! On se reverra, c’est promis ! Et si c’était en Italie ou bien simplement à Paris ! Hermès, lui, nous aime tant !

 

 

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Le cri

                            Samedi 4 janvier

         Dans la nuit soudain un cri ! Un seul ! Rien qu’un et puis plus rien ! Tu te réveilles en sursaut. Etait-ce dans ton rêve ? Tu doutes. Dans ta nuit à toi ou bien est-ce là tout près ? Tu ne sais. Tous tes sens soudain en éveil, tu vibres. Un tram passe encore… ou bien déjà !

         Tu l’as entendu ce cri, long, comme un appel, un cri non pas d’horreur, non pas un cri de peur, non, un cri coup de poignard, un cri autant d’amour que de stupeur mais effroyable, un cri lame, un cri larme ! Tu ouvres enfin les yeux. Une minute, deux et tu glisses vers la baie. Ta curiosité bien plus forte que ta crainte. Tu n’as jamais vraiment eu peur si ce n’est a posteriori.

         Toujours tu as affronté le danger sans réfléchir. Tu veux savoir, voir la nuit dehors mais est-ce encore vraiment la nuit ? Et tu ouvres grand ton volet roulant. Il grince tant qu’il est impossible que les voisins ne l’entendent pas.

         Te voilà sur le balcon. Il fait doux. Une nuit d’hiver doux. C’est même déjà le petit matin. Derrière les immeubles le noir se dilue, le ciel se colorerait semble-t-il de rose ? Déjà ! C’est magique ! Irréel ! Tu es hors du temps. Tout est paix.

         Seule, une fenêtre de l’immeuble d’en face brille d’un jaune luminescent. C’est une cuisine, tu la connais depuis tant de temps que tu habites le quartier. C’est là où très tôt chaque matin de la semaine, tu vois depuis des années une petite dame un peu âgée maintenant. Vous buvez votre café fumant du matin au même moment et au même endroit devant la vitre ! Chacune chez soi ! Un petit signe parfois, connivence de matinales ! Elle est certainement un peu insomniaque comme toi. Comme toi, elle aime la première goutte de café du matin qui brûle la gorge encore endormie. Tu n’y as toujours vu qu’elle. Aujourd’hui, elle doit avoir de la visite, ce n’est pas elle que tu aperçois, mais un homme, un bel homme d’ailleurs qui calmement debout près de l’évier s’étire, visiblement heureux. Tu l’as vu sourire, enfin c’est ce qu’il te semble. Il ne paraît pas, lui, avoir entendu le cri ! C’était certainement dans ton rêve. La rue est calme, très. Tu le vois venir vers la fenêtre.

         Vite, comme prise en faute, tu rentres et t’enfonces dans l’encore nuit de ton salon. Lui ouvre grand la fenêtre de la cuisine, s’accoude et respire profondément. Il est l’exemple même de l’homme satisfait. Il hume avec bonheur l’air vivifiant du petit matin. Tu te dis : « c’est son fils ! » Tu imagines ! Comme toi, elle a un fils, un seul qui vit très loin. L’Australie, elle t’a nommée ce jour où vous reveniez toutes deux, portant vos cabas, de la petite superette du quartier. Vous les aviez même posés sur le sol pour mieux converser ce jour-là devant la vitrine de l’agence immobilière. Elle était un peu chagrine. Tu lui avais vu comme des larmes dans les yeux. Elle t’avait dit qu’il travaillait dur, mais c’était une tête ! Il avait monté une affaire qui prospérait et qui requérait toute sa vigilance, sa présence quotidienne. Il ne pouvait revenir en France de sitôt. Elle le comprenait. Elle t’avait même dit comme même un coup de fil pouvait le déranger. Une fois même, il lui avait répondu « Mais tu sais, t’es peut-être ma mère mais si tu savais comme tu me fais chier ! » Oui il avait dit ça, mais fallait pas lui en vouloir, il est surmené ! Tu avais vu le cristal d’une larme tomber alors sur son pauvre sourire de mère tandis qu’elle ajoutait :

          −Mais dès qu’il pourra, il viendra passer quelques jours et me montrer ses fils. Il en a deux déjà. L’aîné aura cinq ans au prochain printemps. Mes petits enfants !

         Elle t’a dit avoir déjà fait le voyage là-bas…et puis elle s’était tue, le regard dans le vague. Un instant ! Puis elle a ri

         − j’y ai vu les kangourous ! 

         Une autre voisine vous a rejointes et vous avez alors parlé des festivités de la ville pour Noël.

         Tu repenses à tout cela te dirigeant vers ta salle de bain. Tout compte fait, tu restes debout bien que ce soit le week-end, tu en profiteras pour mettre à jour ton courrier.
 

                            Samedi 15 février

         Il fait un soleil magnifique ! Tu petit-déjeunes sur ta terrasse bien à l’abri du vent. Tout est encore calme. Tu jettes un œil malgré toi vers la fenêtre de la cuisine là en face. Tu te dis qu’il y a bien longtemps que tu ne l’as vue à sa fenêtre, la petite dame. Peut-être est-elle partie en Australie ? Quelle chance si c’est cela !

         C’est vrai vous ne vous êtes pas rencontrées depuis longtemps. Tu ne vois pas le temps passer. Tant d’occupations. Mille choses toujours à faire. Sûr tu ne t’ennuies pas ! Certes tu es seule mais il y a bien longtemps que tu sais occuper ta solitude. Tu n’attends plus les appels téléphoniques de tes enfants. Parfois un sms pour dire que tout va bien, ou pour annoncer une bien bonne note d’un petit. Tout compte fait, tu t’es assez bien faite à ta nouvelle vie. Ce matin tu es heureuse. Respirer l’air vivifiant, admirer le mimosa déjà presque épanoui, croquer à pleines dents les tartines grillées et beurrées juste ce qu’il faut. Tu soupires d’aise
 

                            Mardi 18 mars

         Dans deux jours le printemps ! Il fait même chaud ce matin ! Une rose est tout épanouie sur le balcon, tu l’as humée avec délices, le nez enfoui dans ses pétales avant de rejoindre ta place favorite devant la rambarde feuillue du balcon. Et tu t’étonnes, pas encore rentrée, la petite dame d’en face ! Peut-être qu’elle va finir par y rester en Australie et tu te mets à voyager. Il n’en faut pas plus pour que ton esprit se mette à vagabonder. Quelle heure peut-il être là-bas ?

         On ne sait jamais si les gens sont chez eux avec ces fenêtres sans volets ! Peut-être devrais-tu aller lui dire un petit bonjour mais tu es si discrète. Personne ne vient sonner à ta porte non plus. Si parfois la jeune voisine de palier pour faire garder ses fillettes quelques minutes ou quand il n’y a pas de cantine. Tu te dis que tu n’as pas vu grand monde depuis Noël.

         D’ailleurs tu te souviens. C’est bien avant Noël que tu as vu le jeune homme à la fenêtre d’en face. Tiens le téléphone sonne.  De si bon matin ? Rien ! Une erreur !
 

                            Dimanche 30 mars

          On passe à l’heure d’été ce matin. Voilà déjà dix jours que le printemps est là ! Et bien là ! On dirait même l’été.

         Hier tu as entendu une conversation au super marché. Quelqu’un s’inquiétait d’une odeur désagréable persistante dans le couloir de son immeuble. Odeur de charogne disait-elle ? Tu y penses et tu t’inquiètes, ta tasse de café entre tes paumes en regardant la fenêtre d’en face. Et s’il lui était arrivé quelque chose. Elle aussi vit seule. Elle te ressemble. Tu aurais dû tout de même te lier un peu plus avec elle mais tu avais tant à faire ! Ce matin tu iras sonner chez elle.

 

                            Vendredi 4 avril

          C’est la saint Isidore. Tu te souviens du chien de ton voisin d’autrefois Isidore, il s’appelait !

         Un chien quand on est seule, tu te dis c’est bien ! C’est une compagnie. Tu y songes. Si elle avait eu un chien, celle d’en face et toi le tien, c’est sûr vous vous seriez liées d’amitié comme autrefois cela arrivait grâce aux enfants.

         Il se passe quelque chose en face. La gendarmerie ? Les pompiers ! La fenêtre s’ouvre grand ! On s’y agite ! Comme dans les films policiers des hommes, des gants…et puis …tu fermes les yeux, tu trembles et tu comprends.
 

                            Samedi 5 avril

         C’est dans tous les journaux du matin. Le corps d’une femme en putréfaction retrouvé dans la salle de bain de son appartement, criblé de coups. Femme défigurée comme si quelqu’un s’était acharné dans un piétinement d’une rage insensée sur le visage surtout, les membres. Eventrée ! Une horreur indescriptible. Pas assez de mots disent les journalistes. Pas d’indices ! C’est le fils inquiet de ne pas avoir de nouvelles depuis longtemps qui a alerté la police. D’Australie. On lui avait dit de ne pas s’inquiéter. Il a insisté et puis et puis ça ! Il arrivera ce week-end ! Tu penses à ce pauvre fils, devoir reconnaître sa mère ! Tu penses à ses remords peut-être ? Et toi, tu as honte de toi et tu pleures seule devant ton journal.
 

                            Jeudi premier mai 

         La fenêtre en face de ton balcon est complètement occultée. Tu es là hagarde, fatiguée d’une longue nuit sans sommeil. Voilà presqu’un mois que tu ne dors presque plus ! Tu es allée à la cérémonie des funérailles de ta voisine d’en face à Grammont. Il y avait du monde et puis toujours la presse. Son fils a lu un très beau poème. Son fils ! Oui c’était bien lui cet homme de décembre si décontracté, si heureux. Et depuis tu gamberges à en devenir folle parce que tu es sûre maintenant, ton instinct te le dit, tu as compris. Mais c’est de l’ordre de l’indicible ! Il est impossible que la vérité n’éclate pas ! Non tu n’as rien vu, non tu n’as rien dit ! Non ! Et pourtant et pourquoi ? Mais tu connais tes légendes antiques et tu n’en peux plus de te taire ! Cette rage ! Ne plus voir celle qui vous connaît trop bien ! Celle qui vous aime trop et que vous ne méritez pas ! Tu la comprends trop bien maintenant.

         C’est lui, lui, l’assassin de sa mère ! Ton instinct te le clame maintenant.

 


Nouvelles fraiches 2017-2018

Première rencontre 01/03/2018

 

Comment dire ces moments magiques de la première rencontre. Un regard. Un sourire. On a seize ans et le cœur qui s’emballe.

 

Je me rappelle la bande du dimanche après-midi. Un lâcher de pensionnaires dans la ville. Quatre filles, quatre garçons. Cinéma puis chez Becquerel, le petit café des lycéens. C’était leur Chez Laurette à eux, ceux qui ne rentraient pas dans leur famille ! Seize ans et toute la sève qui s’active. Hormones, phéromones, eaux de toilette légères, parfum de gamine, laine mouillée parce que souvent il pleut là-haut ! Lait fraise et petites bières, cafés longs, cafés courts, c’était selon ! On était des grands.

 

Des yeux qui se cherchent, qui s’appellent et des banalités à foison. Un geste maladroit et c’est tout un plateau qui valse. Image gravée à jamais. Le verre blanc qui se brise sur le carrelage, ça porte bonheur ! Youpi ! On était en mezzanine cet après-midi-là. Rires sonores et rouge qui monte aux joues du grand dadais si gauche. Elle a seize ans, il en a dix-sept. Elle se sait proie, il chasse sans vergogne sur des terres sans danger. C’est comme ça. L’un aura l’une. Laquelle ? Les dés se mêlent, se jettent en ce jour de début octobre.

Avant la grande sortie de La Toussaint, plusieurs couples seront formés. On se quitte. Les gars remontent à pied. Les filles s’engouffrent dans un bus, trop loin pour elles, trop pénible avec ces talons qui vous grandissent mais ralentissent les pas.

18h 30, chacun a rejoint son établissement, sa salle d’étude sans certitude. On griffonne, on rêvasse. Les équations s’embrouillent. Il va écrire une petite bafouille pour qu’on se revoie jeudi. Il a déjà son messager, il fait philo et la philo, c’est chez les filles, pour tous. Facile !

 

Il est sympa, le gars de philo qui le mardi l’accoste, elle, la rêveuse dans le couloir. C’est un terminal. Elle a gambergé pendant les deux jours. Les copines aussi ! C’est bon, on se retrouvera le jeudi deux heures à arpenter le boulevard et à discuter au chaud dans la salle haute de la MACU. Sages, très sages encore.

 

C’est le cinéma du dimanche qui va trancher mais la partie est presque jouée. Chacun paie son billet –tout nous est compté – Personne n’est riche. Approche dans le noir. Plus facile ! À lui l’initiative. De l’autre côté le légitime, même tentative. L’un gagne, l’autre perd. C’est elle qui décide et c’est lui qui dédommage l’autre. Le paquet de cigarettes passe d’une poche à une autre. Contrat verbal suffisant.

 

C’est fait ! La nature a accompli son job. Il n’y a plus qu’à suivre l’évolution. Facile ! Ils sont tellement jeunes et naïfs. Tout sera magique découverte.

Elle ricane déjà la nature souveraine. Elle a plus d’un tour dans sa panoplie. C’est elle qui gère !

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La fileuse du temps

 

Il fait grand soleil aujourd’hui et elle a ouvert toutes les fenêtres. Dans une encoignure, à l’abri des courants d’air, je me sens bien. Avec un peu de chance une mouche ou quelque autre insecte volant viendra, malgré lui, me rendre une petite visite. Je m’active sans oublier que ce matin, l’œil est le maître du monde. C’est lui qui organise notre environnement à notre convenance. Je m’oriente de telle manière que je puisse bien voir ce que je veux voir. En l’occurrence, je m’arrange pour rester bien dans l’ombre de l’alcôve. Mon regard embrasse à la fois le vaste pré et la montagne qui se dresse sur l’horizon et la petite chambre. Il semble que le soleil enlace la chaise haute de l’enfant comme pour mieux mettre en évidence miettes de pain, souillures de viande hachée, raclures de fromage qui jonchent le sol. La grosse mouche verte qui tourne, tourne, celle que mon œil droit vient d’amener juste au-dessus d’un petit tas de viande va bientôt atterrir. Bien gonflée des sucs enivrants, éblouie elle va reprendre son vol.

Et hop la voilà dans un bruissement de soie qui vient droit vers ma toile toute neuve.

Et moi, je croise, j’entrecroise mes fils, toujours vigie intrépide. Et je file, je file. Personne ne se doute de ce qui se trame. La Chaîne des événements dorénavant est inéluctable. Tandis que s’écrit le mélodrame, je vois, tranquille, devant la fenêtre passer exactement, près de la fontaine, l’âne gris à petits pas pressés, comme celui des Petites filles Modèles. Ici, c’est celui du petit Antoine qui doit être à l’école actuellement. Et moi, je ne faiblis pas, je tisse, je tisse, infatigable, alors que le kangourou à la poche béante brasse les rais de poussières lumineux, accroché inutile à la poignée de la porte. De ci de là, au gré des souffles du vent, il se dandine entre sol et plafond. C’est drôle. Il semble sourire. Le pyjama qu’il doit protéger toute la journée n’a pas été rangé. Il gît comme un pantin désarticulé au pied du lit sur le tapis dont les poils n’ont pas été aspirés depuis au moins quinze jours. C’est tant mieux. Je suis à l’aise. Elle, elle est tellement fatiguée, elle est débordée dit-elle. C’est une fantaisie de langage parce que, je sais, que personne ne la borde, elle, tous les soirs. Elle est seule.

D’ailleurs, je ne connais qu’elle et lui, le petit Antoine qu’elle borde consciencieusement avant qu’il ne s’endorme. Il m’aime bien, lui, il me protège et veille à ce que j’ai de quoi me nourrir. Il est plein d’attentions pour moi depuis que je lui ai fait les gros, gros yeux. Ce jour-là il avait tiré très fort une de mes pattes pour me l’arracher. On a fini par jouer à cache-cache et je crois qu’il a trouvé que c’était plus amusant. On est devenus de vrais amis.

Il hurle quand il voit sa mère arriver dans la chambre avec cet engin vrombissant qui m’a déjà avalée une fois. J’ai eu toutes les peines du monde pour me sortir de cet intestin encombré malodorant. Le gamin n’a pas cessé de hurler pendant toutes ces heures de mon supplice et quelle ne fut pas sa joie quand il m’a retrouvée, saine et sauve courant sur le parquet pour reprendre mon poste d’observation favori, face à lui. Il a applaudi.

Il reste, depuis, des heures entières à me regarder travailler. Il me parle. Le soir; il lui faut une veilleuse, comme cela il me regarde et moi, je le surveille du coin de l’œil et je tisse, je tisse jusqu’à ce que ses paupières se ferment et qu’il s’envole au pays des rêves.

La nuit, je me fais Pénélope avant de me reposer un peu. Il faut qu’il me retrouve facilement et en pleine forme au petit matin. En fait, je suis sa nounou, moi, la petite araignée fileuse du temps dans la chambre bleue de l’enfant gâté. Bon, maintenant, mon repas est prêt. Excusez-moi, il est temps que je rejoigne mon festin.

Je ne passe pas de temps en cuisine, j’ai la chance de faire le travail que j’aime et qui me permet de me nourrir sans perdre mon temps en de fastidieuses heures en boutique puis devant les fourneaux. Je pense que rares sont les êtres aussi heureux que je le suis. Sur ce, bon appétit ! Ne vous inquiétez pas, j’ai toujours l’œil aux aguets. Et vous qui ne savez-pas rêver, regardez, cherchez sur le toit, le cheval là-haut qui se hâte ! Voyez-le ! Faites connaissance avec Pégase ?

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Chat Roux et Coq Flambant

 

Je suis un chat heureux. Mes amis sont les animaux de la ferme et les souris, mes meilleures copines. On s’amuse bien tous ensemble quand il fait beau. Le coq, mon meilleur copain, et moi, sommes les vigiles de la propriété et les maîtres nous font confiance, nous respectent. En fait les vrais maîtres de céans, c’est nous car sans s’en rendre compte, ce sont eux qui nous obéissent. Coq Flambant, mon compère, sonne le réveil de la maisonnée tous les jours sans faillir et moi, je dicte ma loi. Il suffit que je me passe une patte derrière l’oreille et hop tout le monde s’active pour rentrer le foin, fermer l’écurie, rentrer les vaches, vérifier le blocage des portes. C’est qu’on attend la pluie ! Il y a bien aussi Yola, la chienne-cocker noire qui devrait être gardienne en titre mais elle est bonne pâte, elle est trop gentille, elle a trop confiance dans les humains et elle se fait avoir par tous les nouveaux venus. Elle les trouve sympas. Il suffit qu’ils lui disent « bonjour ma Belle » en lui flattant l’échine et elle la courbe, la servile ! Elle frétille d’aise. Moi, on ne me la fait pas, je suis plus suspicieux. Moi, Chat Roux à la mine débonnaire, sans en avoir l’air, même les yeux quasi fermés je vois tout. D’ailleurs aujourd’hui, c’est la Saint Jean, le premier jour de l’été, le jour le plus long et pour moi, ce matin, l’œil est le prince du monde. Nous sommes, Coq Flambant et moi, la vigilance même et pour ce faire, cette nuit tandis que l’espace étoilé piaffait d’impatience déjà, Nous avons dormi des deux yeux pour avoir la forme dès le lever du soleil. On a pris des forces en toute confiance parce que chez les voisins, le chien jaune à la tache blanche tague toute la nuit de couleurs vives arbres, murs, niche ; ça le tient éveillé dit-il et il se surprend lui-même quand avec l’aube il découvre son œuvre. C’est un artiste ! Et il passe le jour à sommeiller, tranquille. On l’a même déjà surpris en train de fumer. Quand on lui a fait la remarque, il nous a indiqué le cabaret du coin de la rue, « Au chien qui fume » il se nomme. C’est là que son arrière-grand-père a vécu nous a-t-il répondu alors ? Et fier de sa lignée, il nous a tout simplement snobés. Bref, ce matin, Coq flambant et moi, on voit tout, on inspecte tout, on scrute l’horizon, le ciel, les haies. Juste après le  premier cocorico du matin, je suis allé faire le tour du village. On me connaît, on me salue ! Et, moi, je peux me balader, même loin. Coq Flambant, lui, non ! Il doit rester en son royaume. C’est dommage pour lui mais il ne s’en plaint pas. Il a tant de poules et poulettes ! J’aurais bien aimé rencontrer une petite minette à la jolie frimousse mais j’ai très vite été intrigué par ce qui se passait au fond de l’impasse du presbytère, le bibliothécaire tournoyait, au milieu de nulle part en fait. Il ne m’a même pas vu. On eût dit un derviche tourneur. (Je connais parce que j’ai beaucoup voyagé). Bon, un jour de solstice, je me suis dit, tout est possible. Ce changement joue sur le système nerveux. En tournant, juste après le monument aux morts, autre phénomène étrange, devant justement le cabaret « Au chien qui fume », le cendrier applaudissait au passage d’une nuée d’hirondelles déjà en goguette. Certes, je suis Chat Philosophe et sais qu’à la Saint Jean, tout est possible, pourtant, je me demande vraiment quelle sera cette journée qui semble se déboussoler.

Bizarre aussi cette lumière qui envahit tout. Je ne crois pas rêver, non, je ne vois plus aucune ombre. Je tourne, tourne, je fais le tour de moi-même comme chaque fois que je veux me reposer, je ne vois pas mon ombre. C’est d’autant plus étrange que je n’ai trouvé aucun coin d’ombre depuis que je vagabonde. D’habitude, les ombres des trois cyprès sont longues aux premières heures du jour et la cour carrée est partagée entre soleil et ombre ! Par mon pelage, c’est vraiment étrange ! Je vais cogiter tranquillement sous le soleil.

Mais que se passe-t-il ? Voilà qu’il pleut des pièces d’or et d’argent. Ça brille et carillonne en tombant sur les toits et l’asphalte. Coq Flambant et sa cour en restent pantelants. On préfèrerait des graines et des crevettes. Ce serait plus amusant et hop les saisir au vol. J’en reçois une sur le nez, désagréable ! Que ça s’arrête ! La cour de Coq Flambant se retire maintenant en son castel. Stoïques, lui et moi restons, il coquerique, coqueline, je miaule, miaule, Yola sort en trombe de la maison en aboyant à tout va !

On ne voit aucun humain. D’habitude ils sont tous à s’affairer.

Et voilà Yola qui se met à hurler à la mort. Les hirondelles de plus en plus nombreuses vont et viennent mais très haut. Elles frôlent les nuages. Coq s’enroue. Il ne rentrera pas. Ce ballet noir et blanc au-dessus de sa tête l’intrigue. Moi aussi. Je décide néanmoins de me glisser dans la maison. Pas un bruit, personne, personne. Ils ne sont pas sortis, c’est sûr.

Volatilisés !

Je remarque quelques fientes sur le carrelage de la salle de bain. Sûr qu’ils n’ont même pas pris le petit déjeuner. La petite Jeanne n’a même pas emmené sa poupée. Antoine et Paul ont laissé camion de pompiers, train et grue. Bizarre, bizarre ! Quand je sors dans le flamboiement d’un soleil claironnant, il ne pleut plus ni d’écus, ni de sous, ni d’euros mais le sol est métal resplendissant, éblouissant. Je n’aime pas du tout.

C’est surnaturel.

Les hirondelles sont toujours là, elles nous narguent dirait-on ? L’un de ces volatiles me regarde fixement. Je n’aime pas ça du tout, je m’apprête à sauter pour le gober quand il vient jusqu’à me frôler la moustache que j’ai hyper sensible. Une hirondelle aux yeux vairons comme ceux du petit Paul. Serait-ce possible ? J’observe, je cligne des yeux.

Les voilà toutes posées sur les fils électriques au-dessus de nous, ces hirondelles tout à l’heure virevoltantes ! Sages comme dans l’attente d’un signal. C’est alors que surgit devant le porche la silhouette toujours tourbillonnante du bibliothécaire déchaîné qui semble ne faire que passer.

Et c’est l’envol. D’un coup toutes les hirondelles partent dans la même direction que ce seul homme qui s’en va vers le nord, toujours de plus en plus excité, tourbillonnant et comme flottant déjà entre ciel et terre. Image surréaliste !

C’est dans un vacarme de beuglements, de gloussements, de hennissements, d’aboiements, de pépiements qu’hirondelles et homme de livres disparaissent avalés par le bleu du ciel. On se regarde, on se concerte, on se rassemble dans la cour. On part tous dans les rues du village. Chien jaune à la tache blanche, effaré, en oublie sa pipe chaude. C’est quand chevaux, vaches, cochons, chiens, chats enfin toute la gent animale, nous nous retrouvons sur la place du bourg devant la mairie qu’un énorme vautour nous survole et laisse tomber au milieu de nous un énorme livre.

Je l’ouvre solennellement parce que j’ai l’habitude des livres, ma maîtresse lit beaucoup et moi seul ai le courage de rester des heures entières à la regarder tourner les pages de tous ces bouquins qui tapissent les murs de sa chambre. Je l’ouvre et chacun y jette un œil curieux.

 − C’est bizarre dit le vieux hibou descendu du clocher, on dirait qu’il contient toutes les hirondelles de la terre. Des lignes et des lignes noires et blanches. Je crois que c’est l’histoire des humains qui se trouve racontée là-dedans.

− Moi, je me demande bien, dis-je à l’assemblée sidérée, si ce n’est pas tout simplement tous les humains du village devenus hirondelles qui sont venus dans ses pages se coller bien en lignes pour laisser des traces de leurs vies avec nous. En attendant nous voilà dorénavant maîtres de notre destin.

Je savais que ce jour serait exceptionnel mais à ce point, je ne pouvais l’imaginer pourtant j’en ai entendu des milliers d’histoires insolites. Mais celle-ci nous amène à repenser le Monde.

− Je crois que je suis, dès à présent, le seul un peu instruit pour prendre en main la situation ! Je me déclare donc dorénavant le chef de ce village ! C’est ainsi que je dis à tous ceux qui m’entourent.

Quelle n’est pas la joie de tout ce petit peuple animal en entendant mes paroles ! Leur avenir sera assuré. Ils ont un chef autoproclamé certes mais qu’importe, un chef ! Est chacun repart tranquille qui vers son enclos, son étable, qui vers sa maison, qui vers sa profonde méditation quotidienne. Seul Coq Flambant ajoute, alors que nous ne voyons plus que des postérieurs et des queues tournant au coin de la grande rue :

− Et moi, je suis le Premier Ministre !

Personne ne relève, tous, trop contents de ne pas avoir à penser à leur avenir ! Chat Roux et Coq Flambant se débrouilleront bien sans eux et pour eux !

 



 

Nouvelles primées qui sont dans le recueil Rose Piment et Bleu Citron

Voici les premiers paragraphes de chacune d'elles

 - Premier prix au Grand prix de Camargue 2014

 
L'appel venu d'ailleurs

      Il a frappé à ta porte un soir de juin. C'était en 1945 ! Tu as ouvert et tu n'en as pas cru tes yeux comme éblouie. C'était bien lui que tu attendais depuis tant d'années. Tu l'as reconnu malgré les traits tirés, durcis. Vieilli, oui, il avait vieilli mais toi aussi et encore plus que lui. Il ne s'est pas jeté dans tes bras. T'a-t-il embrassée ? Un frôlement sur la joue. Vos regards se sont croisés furtivement. Toi, tu riais. Tu te sentis soudain si légère. Lui semblait comme égaré, harassé. Il s'assit sur la chaise que tu lui tendais machinalement. Et seulement, il a parlé :
      - Bonjour Maman, comment as-tu tenu tout ce temps ? Ne me questionne pas, ne me demande rien. Pas envie de parler et j'ai faim et surtout soif. Je suis foutu, Mman, j'sais pas comment ça va se passer la vie ici maintenant.
      Pas un sourire. Les plis d'amertume de son visage fermé, son regard posé au loin ou nulle part en disaient long sur ce qu'il tairait et sur ce qu'il pensait. D'ailleurs pensait-il vraiment ? L'odeur de la soupe aux bons poireaux du jardin l'a fait comme sortir de son long exil dans un ailleurs que tu aurais bien voulu sonder. Il était là avec toi, près de toi mais son âme était encore loin.


      Un jour, après la fermeture du petit bistrot, après avoir encore dû mettre à la porte le dernier client, un de ceux qui étaient revenus comme lui, cassé et sans plus d'avenir, après avoir ajouté un chiffre sur l'ardoise de crédits, il retourna une chaise et l'enfourcha comme il en avait pris l'habitude, surtout depuis son retour de là-bas, quand il voulait avoir une conversation. Et il parla :
      - Mman, je travaille aux moissons, je me loue à la saison dans les fermes, à la sucrerie, c'est pas une vie pour moi. Toi tu tiens le comptoir, et moi, quand je rentre j'suis rompu. Je vais me marier, t'auras un petit fils, une femme avec toi qui t'aidera, veillera sur toi et puis et puis on verra. Toi, tu as l'habitude de tout gérer seule. Tu continueras.
      Enfin il allait faire comme les autres, il était temps ! Quand, en juillet, tu lui avais parlé de la jeune veuve qui tenait la boutique d'en face, il t'avait ri au nez.
      - Pas pour moi ! Tu te souviens comme elle me regardait de haut quand ils sont arrivés tous les deux avec leur môme. Elle t'en a pris des clients ! Et il a bien fallu que tu te recycles et maintenant t'abreuves les poivrots. Et puis maintenant elle est veuve ! Moi, j'suis revenu, pas lui !
      Pourtant, un jour d'octobre, tu l'as vu lui rendre visite. Il est allé, un soir, l'aider à ranger tous ses casiers dans la remise et il était rentré bien tard. Alors tu ne t'es pas étonnée pas, tu t'es même réjouie.

    

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- Prix René Flament 2015 à Arts Sciences et Lettres de Paris
et premier prix  au concours de l'Encre et la Plume à Palavas  :

 

Cœur de motard ou L’inconnue du rond-point

 

         Il faisait soleil ce jour-là ! Magnifique journée de septembre ! s’était-elle dit dès son lever. Il fallait en profiter ! Guillerette, elle se préparait mentalement pour une bonne marche, par les espaces verts, la ville et peut-être les rives du Lez. C’est si calme, si somptueux et si propice non seulement à la rêverie mais aussi à l’inspiration. Elle se disait poète ! On l’en raillait d’ailleurs ! On lui laissait ses illusions, si ça la rendait heureuse. D’ailleurs, de la poésie tout le monde s’en moquait dans son entourage, enfin parmi les siens !

         La pensée du jour, c’est une belle balade ! Pour garder la forme ! Alors vite, elle se prépare. Ne pas trop se charger et surtout ne pas se parer ! Fini, le joli pendentif, les dansantes créoles dorées ! Trop de vols à l’arraché.  Tout de même, ne pas oublier le téléphone ! Dans une poche du pantalon, la gauche, bien fermée, ben oui, elle est gauchère ! Et puis un porte-monnaie, on ne sait jamais ! Dans la poche de droite. Et puis des mouchoirs dans une poche arrière et la casquette. Le chapeau ? Ce serait plus beau ! Mais un coup de vent est si vite arrivé et au bord de l’eau, ce serait fatal pour le petit galurin. Tant pis pour l’élégance. Pourtant une belle rencontre ce serait tout de même bien ! Alors une touche de parfum ! Tout peut arriver ! Et puis la bouteille d’eau, qu’on garde toujours à la main.

         Un tour de clef et là voilà qui dévale l’escalier, faisant fi de l’ascenseur. Eblouie et d’un bon pas, à l’aise dans ses baskets, elle s’aventure dans le petit bois de résineux. Et c’est parti pour une marche vivifiante dans le petit matin. Un chien, deux chiens, un maître, deux maîtres, une maîtresse. Le chemin est bien crotté. Faut regarder où on met les pieds.

 

         Il va encore faire bien chaud, se dit-il en enfilant le jean qu’il avait jeté hier sur le plancher en rentrant de la maternité, vanné ! Il a dormi comme un plomb ! Le moteur de sa moto rutilante ronronne déjà quand il ajuste assez nerveusement ce fichu casque obligatoire. Mais il a décidé d’être sérieux. Il est responsable ! Hier matin, un fils lui est né. Oh ! Quel événement ! Tout avait commencé - enfin l’arrivée du bébé parce que ça faisait plus de deux ans qu’on en parlait - par une belle panique en pleine nuit ! On a beau s’y attendre, avoir répété les gestes à faire, on est tout bête quand vraiment ça (enfin le bébé !) arrive. Le tant attendu ne voulait plus être poisson et il fallait se dépêcher pour lui donner de l’air. C’est fou ce qu’on peut faire dans l’urgence. Et puis ce fut l’éblouissement, mille bougies d’un coup, un feu d’artifice et ce petit être, fantastiquement petit, minuscule, une miniature !

         - C’est un garçon ! Vous voulez couper monsieur ?

         - Quoi ? Oui ! Comment ? C’est possible ! Mon fils, je t’envoie dans le monde !

         Et ce petit bout de chair s’est mis à miauler ! Surprenant ! Image qu’on pense impérissable, qui percute, se grave. Fierté insensée ! Elle, la maman, rit.

         C’était hier ! C’était il y a déjà un siècle ! Puis ce furent coups de fil multiples. Annoncer l’heureuse nouvelle ! Et puis courir, il manque toujours une babiole qui s’avère soudain indispensable. Il n’avait rien mangé de la journée. Tout avait été pour la maman et la Merveille. Incroyable, tous les deux, ils avaient réussi à faire ce petit homme, rien qu’à eux !

         Il s’était effondré sur son lit, sitôt rentré. Et ce matin, ce serait Champagne ! Il file sur son engin qui l’emporte dans le vent. Il est heureux, il vole certainement. Il double ces automobiles qui s’arrêtent soudainement, il slalome. Il a l’habitude ! Les retrouver tous les deux là-bas dans ce cocon de douceur qu’il a quitté la veille pour se plonger dans la nuit.

 

         Elle chantonne mais prudente à la sortie du petit square, elle s’engage d’un pas assuré sur le passage clouté devant lequel une puis deux voitures se sont arrêtées ; derrière le pare-brise, on lui sourit. Que les gens sont aimables ! Décidément ce matin, la vie lui est facile…

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- Premier prix de la nouvelle aux Jeux floraux méditerranéens 2015 :  

La gifle

 

            Tu serres fort, très fort sa main si chaude malgré le vent de ce matin gris chagrin qui souffle de la mer, qui poisse les cheveux et sale les lèvres. Elle marche vite à grands pas, cette femme à la rousse crinière que ce vilain vent marin secoue comme la queue d’une cavale au grand galop.

            − Pas si vite maman, s’il te plaît ! Ma sandale s’est défaite, maman !

            Elle s’arrête, se jette à tes pieds et de ses deux paumes moites et douces, elle soulève ton petit pied froid et le caresse comme on cueille un oisillon éperdu. Elle s’excuse, te couvre de baisers, te soulève comme quand tu étais bébé et aussitôt te repose.

            − Que tu es devenue lourde mon bébé !

            − Maman, je vais remettre ma sandale, regarde, elle n’a rien, la boucle s’est ouverte ! Peut-être que je l’avais mal fermée tout à l’heure.

            Et tandis que sérieuse, tu t’appliques, accroupie sur le trottoir inégal, à te chausser de tes doigts si malhabiles, elle rit au vent. Pas le temps de la regarder, tu sais que vite vous allez repartir.

            − Ma si petite, si grande fille, c’est bien ! Que tu es raisonnable ! Je t’aime, et elle t’embrasse fougueusement et te reprend la main. C’est elle qui la serre fort maintenant. Toi, la sage, toi, la docile, oh comme elle ne veut pas te perdre ! Avec elle, toujours !

            Un instant, toutes deux à nouveau debout côte à côte, vous regardez la mer, loin, l’horizon vide qui gratte les yeux et les rares nuages sombres. Pas un voile, pas un navire encore. Elle t’a dit, à peine éveillée : « on va à la chapelle, on va prier et peut-être qu’encore une fois je le verrai ». Tu aurais bien aimé non pas prolonger ta nuit, non, tu n’aimes pas le lit, dormir c’est comme être mort, mais rester au chaud simplement derrière la fenêtre.

            Hier, quand tu es rentrée de l’école, elle était fatiguée mais tellement contente, elle avait ciré le parquet de ta chambre et t’avait juponné de cretonne rose une petite table que vous aviez trouvée dans le grenier. Que tu étais heureuse de cette jolie coiffeuse, unique et tu l’as embrassée sagement pour la remercier te retenant de lui sauter au cou et de te blottir contre son ventre de mère. Tu sais que trop d’effusions la fâcheraient et pourtant ce serait si bon, tu le sens mais c’est comme si s’était dressé tout contre les courbes de son corps une barrière invisible mais tellement réelle malgré elle, malgré toi. C’était venu quand, comment, pourquoi ? Tu ne veux plus savoir. Peut-être que tu le sais et que tu l’as tellement enfoui au fond de toi que plus jamais cela ne remontera à la surface du réel. Crois-tu ? Souhaites-tu ! Ta lucidité de fillette trop tôt grandie t’a vite fait apprendre les bons gestes, les paroles admises et les interdites.

            Tandis que vous marchez maintenant plus lentement dans le grand silence du matin, tandis que tu la sens si proche et pourtant si loin de toi, tu penses toi aussi. Des images se bousculent, se superposent dans ta tête. Ce grand mât